BRACHIEL

BRACHIEL

LE BORD DE L’ABÎME YsyL

A chacun son trou ! Tout ce que j'aimerais oublier, tout ce que, à aucun moment je ne saurais renier, tout ce que j'aurais tant aimé oublier, mais qui fait partie de mon être, de ma vie, tout cela, n'est qu'une suite d'événements fortuits et inexplicables.

Peut-être...

Encore une fois, il était heureux de reprendre le chemin de l'école, à travers les rues sales et encore brillantes des pluies de la nuit. Une fois de plus il avait surpris son frère.

Être heureux de se retrouver dans l'enceinte de l’École de chimie, c'était à ne pas y croire.

Ce qu'il ne savait pas les autres, ce qu'il ne pouvait pas comprendre, c'était la raison réelle de cette joie à peine voilée. Ce n'était pas le frisson de passion des études, ce n'étais pas écouter les professeurs déballer le long monologue ennuyeux.

Ce n'était pas non plus l'émotion d'user le fond de ses pantalons sur les bancs de classe. Non, rien de tout cela.

La raison réelle s'appelait Violette. Le besoin de croiser ne serait-ce qu'une fraction de seconde, son doux regard, et le monde gris devenait bleu comme un ciel d'été.

Il ne comprenait pas encore ce qui se passait, mais il ne pouvait plus imaginer une minute sans la voir.

Il ne comprenait pas non plus sa différence. Il ne se retrouvait pas dans la situation tant vantée par ses copains. Ils ne lui parlait des filles qu’en termes de drague, de nanas de canons. Ils se vantaient  de longues expériences en matière de drague.

Il en développait même une certaine gêne; celle de se sentir différent et rejeté par ses amis.

Il faut dire que dans la matière, son expérience se résumait dans une succession de déboires et échecs sentimentaux même pas retentissants.

On le disait atteint d'une tare incompatible avec son état de mâle et de ce fait peu fréquentable.  Il n'était pas capable de présenter ses trophées de chasse. Il ne pouvait pas aligner ne serait-ce qu'un seul nom de fille qu'il aurait sauté.

En réalité, en guise de trophées, il ne gardait de ses amours, que le goût amer de la séparation.

Il devait y avoir quelque part en lui un peu de féminité (celle là même qu'il redécouvrait dans les yeux de 

Violette), et se refusait absolument de participer aux chasses aux filles organisées de temps en temps par ses copains.

Par timidité, le rouge aux joues, il déclinait toutes les invitations aux "booms" qui jalonnaient les fins d'années scolaires.

De fait, il vivait dans son monde, à l'écart de la société qui semblait le rejeter.

Les filles, enfin les autres, faisaient partie de son univers. Il se trouvait bien en leur compagnie. Il n'en excluait aucune. Pas même cette emmerdeuse de Géraldine; c'est tout dire.

Il se complaisait dans cet état de douleur personnelle qui le poussait à admirer encore un peu plus les filles, à s'imaginer avec elles dans la douceur féminine.

Mais tout n'était pas aussi simple: les filles aussi l'ignoraient. Il se sentait condamné à vivre en Hermite, vivre des ses rêves pourtant envahi de filles belles comme le jour et douces comme… comme une confidente, une sœur ou une mère. Il vénérait le romantisme, la douceur et la sensibilité‚ mais aussi la cruauté qu'il entrevoyait chez les filles.

Jusqu'à ce jour… le jour de Violette

 

Il était maintenant près de 9 heures et l'odeur connue, un mélange suaves d'effluves de café fraîchement torréfié et de lourdes vapeurs de désinfectants coulants des étages supérieurs de l'école,

l'envahit sournoisement.

Il gravit, le cœur battant, les dernières marches de simili marbre blanc menant à la salle de détente. La lumière matinale s'incrustait dans le décor pourtant rigide et donnait à cette grande salle des airs de printemps.

Il jeta un coup d'œil par dessus le parapet de droite, à la recherche de son amie. Parmi les nombreux élèves déjà présents, il aperçu sous la baie vitrée, la frêle silhouette de Violette.

Elle était là, comme chaque matin.  Elle relisait une dernière fois ses cours.

Il se précipita vers elle, bousculant au passage un individu qu'il ne prit même pas le temps d'identifier, cette fois ci parfaitement réveillé.

« Salut Violette, tu vas bien aujourd'hui? »

Elle leva vers lui ses grands yeux bleus et lui adressa un sourire. Comme répondant à un protocole, elle lui tendit ensuite sa joue gauche,  cette joue qui lui était réservée exclusivement.

(Voilà un trophée dont il pouvait être fier).

Il déposa en tremblant sa douce offrande matinale

 

« Salut toi, j'ai bien cru que je ne te verrais pas aujourd'hui. Il est déjà presque l'heure».

Il balbutia

« Pour rien au monde je n'aurai raté ce rendez-vous. »

Il fit un effort pour ne pas réitérer son offrande, ce qui fit naître un autre sourire dans les grands yeux qui le dévisageait. Comme elle ne pressait pas trop à éloigner son visage, il déposa une autre bise matinale sur la joue réservée ; Il cru sentir vibrer Violette.

 « J'ai réfléchit à ce que tu m'as dit hier soir., Je crois.., j'en suis même sûr, je pourrais venir te donner un coup de main Dimanche.

- Chouette! Je suis vraiment heureuse. »

Violette l'invita à venir s'installer à ses cotés sur le banc et lui prit la main. Il ne pu renoncer.

Il restèrent cote à cote sans rien dire de plus. Le silence est parfois si bruyant que les mots vides de sens ne servent plus à rien.

Au bout de quelques minutes d'un silence lourd de sous-entendus, il se décida enfin à émettre un son.

« Violette ? Tu en auras le courage cette fois?

Elle hésita un court instant.

- Je pense. Maintenant que je sais que tu es là, je me sens un peu mieux.

- C'est toi qui va toutes les affronter une fois de plus.,

- Je sais ! Ne t'en fais pas trop, ça ira.. »

Il aurait bien aimer la croire, mais il la sentait bien trop fragile.

Il se surpris à désirer se rapprocher un peu plus d'elle. Il voulait la serrer dans ses bras et l'écouter lui susurrer des secrets. Il se contenta de lui prendre la main et lui caresser les doigts, doucement, tout doucement.

Violette le regarda, visiblement surprise de cette attitude inhabituelle chez lui. Malicieusement elle lui glissa:

« Je me demandais si des fois tu ne pourrais pas faire ça pour moi. »

Il la fusilla du regard et pour se donner de la contenance, c'est presque sur un ton de reproche qu'il lui dit vertement:

« Tu sais très bien que je ne peux pas faire ça. Je crois que si tu t'en débrouillais toute seule, ce serait quand  même mieux. En plus, je ne vois pas bien comment je pourrais leurs parler à tes nanas.»

Il regretta immédiatement son attitude et se sentis un peu plus encore prisonnier de son amie. Elle affichait une moue qui lui fit froid dans le cœur.

C'est avec un soulagement certain qu'il accueillit la sonnerie annonçant le début des cours.

 

Les cours défilèrent les uns après les autres, sombre ramassis de monologues didactiques, entrecoupés de petites promenades forcées le longs d'interminables couloirs aussi froids que tristes. Les travaux pratiques lui permettaient de s'arracher quelques instants à l'immense détresse de se savoir si près, si loin de Violette.

Plus d'une fois au cours de sa journée, il se reprocha de penser à elle. Cela lui posait maintenant un gros problème. Il se sentait faible, dépendant, se demandant s'il était juste de courber le dos devant ce satané Éros qui le tourmentait un peu trop souvent à son goût.

Il essayait de repousser cet appel qui le poussait vers le chute dans le vide. Tomber amoureux de ce petit bout de fille qui ne cessait plus de le troubler, quelle déchéance, quelle tare dans ce monde de force te de virilité.

 

Il regarda Éliane, là tout près de lui. Il était bien avec elle depuis presqu'un an. Ils partageaient un gros morceau de vie, ce qui lui permettait d'oublier qu'il n'avait plus réellement de famille. Elle savait lui apporter tout le réconfort au moment où il en avait le plus besoin. Elle était douce et gentille... Et c'était encore un peu plus de honte et gêne. Tout allait bien entre-eux. Alors pour quelles raisons devrait-il la trahir?

Mais depuis qu'il avait rencontrer Violette, ce n'était plus aussi simple. Peut-être y avait-il quelque chose qu’Éliane ne savait pas lui donner ?

Ou peut-être, lui même ne savait-il plus donner tout ce qu'il souhaitait donner?

Qu'avait donc de particulier cette Violette ?

Qu'est ce qui n'allait plus chez lui ?   

  

Tout avait commencer avec cette rencontre. Il avait pris l'habitude de traîner après les cours, pour ne pas avoir à rentrer trop tôt dans sa famille. Il lui arrivait même de rester seul jusqu'à 21H. Tous les prétextes étaient bons. Au début, il se contentait de rater un train ou un car. Puis il pris l'habitude de prendre un café, seul avec un livre.

Mais tout cela ne dure qu'un temps. Rapidement, il se contenta de traîner dans la grande salle en faisant semblant de lire ses cours. Très rapidement il fit connaissance des garçons et des filles et acquis une réputation de confident. C'est fou, ce qu'il pouvait y avoir de problème dans la vie d'un adolescent.

 

Et un soir, alors qu'il se trouvait seul dans la salle de détente, sous la grande baie vitrée fêlée, Violette lui était apparue.

l ne l'avait jamais vue.

Elle se tenait debout devant la table de ping-pong, une raquette à la main. Sa tête balançait doucement de gauche à droite. Elle lui tournait le dos.

Cela aurait pu s'arrêter là. Il était près de 19H. Il rassembla ses affaires et les jeta négligemment dans son sac.

En regardant du coin de l'œil, il vit qu'elle ne bougeait toujours pas. Elle était là, semblant ne rien attendre.Il se leva et prit la direction de l'escalier en essayant d'éviter d'attirer l'attention de cette fille.

Brusquement il al vit se retourner.

Elle lui jeta un long regard brillant et lui sourit. Elle hocha la tête et posa doucement la raquette sur  la table.

Tout en continuant de l'enlacer du regard, elle ramassa ses affaires qui traînaient sous la table et s'avança tranquillement vers lui.

Elle était petite, étonnamment charmeuse et si fragile.

Tout de suite, il la trouva très jolie.

Mais ce qui le dérangea le plus, c'était le charme qui émanait de sa personne, de ces cheveux bruns coupés mi-courts qui ondulaient délicatement sur ses frêles épaules, de sa démarche hésitante. Elle était habillée d'une petite robe en tissu léger décoré de grandes fleurs bleues stylisées, bien sage. Comme il était incapable de faire le moindre mouvement, émettre la moindre son, c'est elle qui prit la décision.

Elle le rejoignit avant qu'il n'ait eu le temps de s'échapper et l'invita à aller s'asseoir sous la baie vitrée.

Il ne put qu'obtempérer sans réellement s'en rendre compte.

Elle se posa à sa droite, à une distance respectable et lui adressa un petit sourire triste.

Il ne savait pas quoi faire et n'osait pas encore la regarder, même du coin de l’œil.

Mais l'inévitable arriva. Il se noya dans ses grands yeux d'un bleu clair et profond, légèrement humides mais si captivants.

Il tenta de se soustraire à cette pression. Mais le sourire, les yeux, le retenaient comme piégé dans une toile d'araignée. Plus il se débattait pour fuir, plus il se noyait de plaisir.

Un nuage de douceur planait doucement au dessus du banc, le fixant dans une immobilité totale.

Il comprit immédiatement que sa vie allait basculer dans le chaos.

« Tu sais jouer au ping-pong ? » - demanda t’elle doucement, presqu'en s'excusant.Il la dévisagea, la bouche ouverte après avoir lever les yeux du livre imaginaire qu'il faisait semblant de lire.

« Oui !

Tu veux bien m'apprendre ? »

Il tenta de rassembler ses fragments de cerveau qui se répandaient sur le carrelage.

« Bien sûr ! Tu veux jouer maintenant ?

Elle fit la moue.

- Non pas aujourd'hui, il est trop tard. Peux-tu le faire demain soir?

- Je ne sais pas si...,

- Moi je sais que tu seras là. Tu es là tous les soirs. »

Il la dévisagea encore une fois, partagé entre la surprise et l'admiration.

« C'est d'accord ! Je te donne ta première leçon demain. »

Il fit mine de se lever pour partir mais elle se dressa devant lui et déposa une petite bise toute fraîche, toute timide sur sa joue, qui s'empourpra immédiatement.

Sans lui laisser le temps de réagir, elle lui tendit à son tour sa joue gauche:

« Je te la réserve pour toi, toi seul ! »

Il hésita et finit par s'exécuter en cachant du mieux possible le trouble et la montée du plaisir qui lui empourpra le visage.

Elle ramassa prestement ses effets et partit en courant.

Il la regarda s'éloigner, muet et abandonné sous la grande baie vitrée.

Violette allait s'engouffrer dans l'escalier, lorsqu'elle se ravisa. Elle se retourna et lui lança avec un grand sourire qui n'était plus triste:

« Moi, c'est Violette... Toi je te connais ! Alors pas besoin de me le dire. »

Elle disparut pour de bon cette fois

 (à suivre)

 

 

 

 



28/05/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres